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#6 - Gawad Kalinga: un modèle ambitieux

Comme vous avez été nombreux à me le faire remarquer, cela fait une éternité que je n’ai pas pris le temps d’écrire.

Le mois dernier a été très riche : en découvertes, en rencontres, en apprentissages, en activités et en émotions.

J’ai essayé de tirer le maximum de mon court séjour au sein de Gawad Kalinga et j’en repars avec de nouveaux projets, une nouvelle ouverture d'esprit, mais surtout, une nouvelle famille.


Mais commençons par vous présenter cette ONG pas comme les autres.


 

Le modèle Gawad Kalinga


GK est une organisation non-gouvernementale créée aux Philippines par Antonio Meloto en 2003. Son nom signifie « prendre soin » en tagalog.


Elle a pour objectif de sortir de la pauvreté 5 millions de familles d’ici 2024 ; une famille moyenne aux Philippines comptant cinq membres, cela représente donc 25 millions de personnes. Or, le taux de pauvreté est d’environ 25%, sur une population de 100 millions de personnes : même pour ceux qui rencontrent des difficultés en mathématiques, vous calculerez aisément que la pauvreté touche 25 millions de personnes aux Philippines.


L’objectif affiché de GK est donc d’éradiquer la pauvreté aux Philippines d’ici 2024 : ce n’est pas une mince affaire !



Mais comment donc atteindre un but si ambitieux ?


Pour cela, GK a mis en place une roadmap en trois phases de sept années chacune.


La première, prévue de 2003 à 2010, est appelée « Social Justice ».

L’objectif est de restaurer la dignité des plus défavorisés. Concrètement, GK aide des familles pauvres à construire leur propre maison pour ainsi former des communautés regroupées autour de valeurs de dignité, de respect et de partage. Le but est d’encourager le travail commun et l’entraide : chaque habitant doit contribuer à la construction de la communauté dans son ensemble et s’engage ainsi à donner 1 500 heures de travail pour le développement de la communauté.

Un point particulièrement important est que Gawad Kalinga construit avec et non uniquement pour les plus démunis : cela leur montre qu’ils sont maîtres de leur destin et capables de changer leurs conditions de vie par eux-mêmes.



Pour financer un tel projet, Antonio Meloto, appelé Tito Tony, a réussi à faire appel à la générosité de milliers de personnes : donateurs de terres pour installer les communautés, de matériel pour construire les maisons, volontaires philippins et internationaux pour aider les familles à réaliser les travaux.


Aujourd’hui, il existe 2 500 communautés Gawad Kalinga à travers le pays, rassemblant déjà 1 million de familles.




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La deuxième phase, dans laquelle GK se trouve actuellement, est appelée « Social Artistry ».

Son but est de rendre le modèle complet, en faisant accéder l’ensemble des communautés à l’autonomie. Cela passe par le développement de l’entreprenariat social afin de créer une activité économique pérenne au sein des communautés, tout en valorisant les compétences de leurs membres.


Pour faire émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs philippins et internationaux, GK a créé un incubateur d’entreprises sociales, dans la région de Bulacan, au Nord de Manille : c’est au sein de ce hub social, appelé la Ferme Enchantée, que j’ai passé mon mois de février.




La troisième phase est appelée « Social Progress ».

Prévue de 2018 à 2024, elle consiste à répliquer le modèle dans l’ensemble des communautés GK et à le rendre durable. Il est ainsi prévu de mettre en place 24 autres incubateurs à travers le pays afin d’atteindre une communauté d’entrepreneurs de 500 000 personnes, qui emmèneront avec eux le maximum de Philippins défavorisés.



Le modèle Gawad Kalinga est très innovant pour répondre au problème de l’extrême pauvreté, en particulier parce qu'il se veut holistique et réplicable. L’un des objectifs de l’ONG est d’ailleurs d’inspirer d’autres pays afin qu’ils créent leur propre Gawad Kalinga dans le but de mettre fin à l’extrême pauvreté à l’échelle mondiale.

Le modèle a ainsi déjà été exporté en Indonésie, au Cambodge et en Papouasie-Nouvelle-Guinée.


Comme vous pouvez probablement le ressentir, j’ai été fascinée par ce modèle de développement. Pour la première fois, j’ai découvert une initiative qui pourrait réellement mettre fin à l’extrême pauvreté dans son ensemble.

Je pourrais écrire des pages et des pages sur les détails des programmes mis en place par Gawad Kalinga, mais je vais simplement m’attarder sur le lieu où j’ai vécu, qui est une pièce essentielle du puzzle.


 

La Ferme Enchantée: un village-université


La Ferme Enchantée a été créée en 2010 à Angat, dans le Bulacan, une région au Nord de Manille.

Il s’agit d’un écosystème visant à former et aider les entrepreneurs sociaux dans leur démarche de création d’entreprises sociales, tout en soutenant les agriculteurs locaux afin de dynamiser le marché rural philippin.

Son activité principale est donc l’incubation d’entreprises sociales même si elle s’implique également dans de nombreux projets destinés à faire vivre cet écosystème.



La Ferme Enchantée tient son nom du village où elle a été installée : Encanto. Par ailleurs, on utilise le mot Ferme bien qu’il ne s’agisse pas d’une ferme en tant que tel, car GK considère l’agriculture comme la base du développement social aux Philippines.

En effet, des millions d’hectares sont disponibles et inexploités à travers le pays ; ainsi, le gouvernement a lancé une campagne de dons de terrains d’un hectare aux familles philippines les plus pauvres. C’est ainsi que 5 millions de familles se retrouvent aujourd’hui avec une terre qu’ils n’utilisent malheureusement que peu, voire pas du tout.

Le but est donc de créer de l’activité économique en s’appuyant sur les fermiers et en valorisant les compétences agricoles, la valorisation de l’agriculture étant essentielle dans un pays où elle est synonyme de pauvreté.

De plus, les Philippines manquent cruellement de marques nationales : les produits bruts, à très faible valeur ajoutée, sont exportés vers des pays qui les réexportent ensuite sous forme de produits finis, bien plus chers.


Gawad Kalinga s’appuie ainsi sur un constat simple : les Philippines disposent d’une multitude de terres agricoles (dont 70% sont inexploitées aujourd’hui) et de fermiers très pauvres, d’un côté de la chaine, et d’une population riche friande de produits frais et de bonne qualité, à l’autre bout de la chaine.

L’élément manquant ? L’entrepreneur social qui saura lier l’un à l’autre, en créant une entreprise qui transformera les produits et les commercialisera dans le pays. Et ceci en s’appuyant sur les populations les plus pauvres, en leur offrant un travail stable et un salaire juste.


C’est ainsi que s’est développée une entreprise désormais très connue aux Philippines : Human Nature. Créée en 2008 par deux filles de Tito Tony et l’un de ses gendres, Human Nature est une entreprise sociale de cosmétiques.



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Elle se définit comme ‘pro-Philippines, pro-poor and pro-environment’ : elle emploie des centaines de membres des communautés Gawad Kalinga, leur offre un salaire bien supérieur à ceux du marché, et adopte une politique de ‘non-renvoi’. De plus, les ingrédients sont majoritairement philippins, produits de manière écologique par des fermiers payés à un salaire considéré comme juste, et donc bien supérieur aux moyennes nationales.

Et cela fonctionne !! Human Nature est aujourd’hui leader sur de nombreux secteurs cosmétiques aux Philippines, devant les grandes marques internationales et exporte déjà dans 5 pays.

Human Nature est l'exemple même de l'entreprise capable de gérer avec succès son triple objectif : économique, social, et environnemental. En quelques années, elle a réussi le pari de devenir une entreprise sociale de grande échelle capable de concurrencer les acteurs classiques de son marché tels qu'Unilever, Procter & Gamble ou l'Oréal. Un bel exemple !



Et beaucoup d’autres entreprises sociales ont vu le jour à la Ferme Enchantée : Plush&Play (peluches pour enfants), Bayani brew (thé glacé bien meilleur pour la santé que les sodas vendus aux Philippines), First Harvest (délicieux peanut butter), Karabella (glaces à base de lait de Carabao, un type de buffle) et j’en passe.















 


Comme il a été difficile pour moi d’imaginer à quoi ressemble la Ferme Enchantée avant de m’y rendre, j’imagine qu’il est difficile pour vous d’imaginer ce lieu de rencontre et de création. Il est compliqué de la décrire et d’en restituer une image exacte, mais je vais essayer de faire mon possible.


Concrètement, c’est un village GK autour duquel se sont développées différentes infrastructures dans le but d’encourager l’entreprenariat social.

Le cœur de la Ferme est donc un village où vivent une cinquantaine de familles philippines. C’est une communauté comme les autres, construite par les familles qui y habitent aujourd’hui.


A côté de cette communauté se trouvent un certain nombre de structures visant à accueillir les entrepreneurs, les visiteurs et les volontaires : dortoirs, cantine, lieux de vie, etc.






On y trouve également les infrastructures de différentes entreprises sociales : Plush&Play y a son atelier de couture, First Harvest et Bayani Brew leurs ateliers de production etc.

Ces entreprises s'appuient sur la commuanuté et lui fournissent donc un nombre d'emplois conséquent.






Dans les 34 hectares de la Ferme, il y a également une vraie ferme (quand même), appelée l’animal farm, où sont élevés des poulets, des cochons, des canards etc. On trouve également des cultures, de citronnelle, de piments, de papayes, etc.

Ces élevages et cultures sont toujours liés à un projet d’entreprise sociale, ce qui assure des débouchés à la production.
























Par ailleurs, a été créée au sein de




Par ailleurs, une université d’entreprenariat social, appelée SEED (School for Experiental and Entrepreunarial Development), a été créée au sein de l’Enchanted Farm.

Lancée en 2014 avec 43 étudiants, l’université offre un cursus de deux ans, mélangeant théorie et pratique via des stages au sein des entreprises sociales de l’incubateur, et vise à créer une nouvelle génération d’entrepreneurs sociaux aux Philippines.


Enfin, la Ferme Enchantée est conçue comme un lieu de destination de tourisme social afin d’inspirer les plus riches à se pencher sur la question de l’extrême pauvreté. Sont ainsi accueillies des familles riches philippines, des étudiants des meilleures universités du pays, des groupes de touristes étrangers, etc. Pour les accueillir, toutes sortes d’infrastructures ont été construites : guesthouse, lieu de séminaire et même une piscine !



Pour vous donner une idée un peu plus concrète de comment tout cela s'agence, voici un plan de la Ferme, designée par une graphiste volontaire:



 

J'espère avoir réussi à vous fournir un aperçu rapide mais assez précis de Gawad Kalinga. Cette ONG est si ambitieuse qu'il est difficile de résumer son action en quelques paragraphes ! Néanmoins, cette ambition semble réaliste tant les progrès sont épatants depuis sa création en 2003, il y 13 ans seulement.


Promis, un article suivra très prochainement pour vous relater les projets que j'ai entrepris à la Ferme Enchantée.


A bientôt,

Tiphaine



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