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#5 - La difficile tâche de passer la main

C'est avec le cœur lourd que j'ai quitté l'Inde après plus de trois mois de travail à Marica. Mon séjour est passé à une vitesse étonnante et pourtant, j'ai l'impression que mon expérience dans cet attachant état du Telangana a été bien plus longue, tant j'y ai appris.


Il m'est compliqué de mettre des mots sur tous les apprentissages que m'a apportée cette expérience. Mais si je devais citer une chose importante que j'ai retenue, c'est que l'on peut changer énormément de choses avec très peu de moyens, tant qu'une solide volonté est présente. Il suffit de rester simple et réaliste, et alors, il est possible de déplacer des montagnes.

Marie-Christine, Saraswathi, toute l'équipe éducative de Marica et les enfants m'ont montré qu'avec humilité et simplicité, on peut construire de grandes choses, si l'on sait où est l'essentiel.




Beaucoup d'entre vous me demandent comment je fais pour m'occuper de ces enfants, m'interrogent sur les difficultés que je rencontre avec les étudiants handicapés. Mais les activités que je fais avec ces enfants sont souvent très simples, elles ne demandent pas beaucoup d'imagination ni de préparation. Il suffit d'être attentif à l'enfant, à ses capacités d'apprentissage et à ses affinités, et de se montrer patient.


Et les résultats sont parfois fulgurants.



Gopal et Mallesh nous montrent le résultat de leurs activités éducatives



Je vous parlais dans mon dernier article d'Akshitha; cette adorable petite fille a été laissée de côté toute son enfance en raison de son handicap. Elle a été négligée, livrée à elle-même dans le coin d'une pièce telle un animal que l'on se contente de nourrir. Akshitha n'a donc jamais été stimulée afin de développer ses capacités intellectuelles, jusqu'à son arrivée à Marica il y a bientôt deux ans.

À ce moment là, les enseignants pensaient qu'elle était muette car elle n'avait jamais parlé de sa vie. Néanmoins, les mois passant, Akshitha à commencé à émettre de petits sons et à murmurer certaines choses peu compréhensibles. Je vous écrivais ainsi dans mon dernier article que j'étais persuadée qu'elle pourrait parler, à force de travail.




Nous avons beaucoup travaillé ensemble, j'ai essayé une multitude d'exercices pour développer sa parole.

Petit à petit, Akshitha m'a accordé sa confiance et la petite fille timide et méfiante d'octobre s'est rapidement transformée en une enfant souriante et ouverte. Il me suffisait d'aller la chercher dans sa classe pour qu'elle m'offre le plus beau sourire qu'on ne m'ait jamais offert, de manière si gratuite et sincère. Elle a commencé à répéter des phrases que je prononçais en murmurant très faiblement mais ne parlait jamais réellement.


La semaine dernière, alors que je répétais une énième fois la fameuse phrase "My name is Akshitha", j'ai pu entendre un clair "name" résonner dans la pièce.

Mon cœur s'est serré si violemment : Akshitha venait de parler! J'ai dû profondément prendre sur moi pour cacher mon émotion, pour prétendre que c'était normal et l'encourager à continuer. Alors j'ai continué : "A-kshi-tha". Et cette dernière de répondre à voix haute: "A-ki-tha".



Le beau sourire d'Akshitha


J'ai recommencé inlassablement à lui faire répéter cette phrase, comme pour me convaincre qu'elle était réellement en train de parler devant moi. Je n'ai même pas pensé à chercher à lui faire dire autre chose tant j'étais émue par ses mots. Ca y était, elle avait trouvé le moyen de parler.


La semaine qui a suivi, nous nous sommes vues tous les jours, elle a prononcé beaucoup de nouveaux mots, de plus en plus fort, de manière de plus en plus affirmée.

Voilà donc un exemple de progrès formidable, à partir de pas grand chose.

Akshitha se familiarise à faire des sons via la musique


Par ailleurs, mes dernières semaines ont été consacrées à une tache délicate mais nécessaire: passer la main.

Cela demande du travail, de la patience mais aussi et peut être surtout de l'humilité. Car cela suppose d'accepter d'une part que les projets lancés continueront sans nous, et d'autre part qu'ils seront gérés différemment et que certaines choses se perdront probablement au passage.

J'ai donc cherché à pérenniser mon travail, sans surcharger les professeurs et en m'adaptant aux volontés et capacités de chacun.



Pour les enfants handicapés de Kesaram, j'ai mis en place un "partnership program".

L'idée est simple : il s'agit de responsabiliser les plus grands enfants de l'école (classe de 6ème) en leur assignant un filleul avec qui ils devront faire des activités éducatives afin de l'aider à développer ses capacités. Les paires ont été choisies avec l'aide de Saraswathi, la directrice de l'école, qui connaît bien les capacités d'écoute et de patience de ses élèves.


Afin d'aider les parrains dans leur tâche, j'ai créé un livret sur chaque élève handicapé, présentant ses forces et ses faiblesses et surtout, listant un certain nombre d'activités éducatives correspondant à ses capacités. J'ai joint à cela du matériel pour servir de support à toutes ces activités.



Pravalika passe du temps avec son nouveau filleul, Mallesh


Ensuite, j'ai organisé des sessions de "formation" pendant lesquelles je réunissais les deux partenaires pour leur montrer comment ils devaient s'y prendre, mais aussi et surtout pour que les parrains et les filleuls puissent nouer un lien et que la dynamique soit lancée.



Les nouveaux binômes de travail apprennent à lire ensemble

J'ai mis en place le même programme pour les enfants dyslexiques, chaque parrain devant faire lire son filleul 15min par jour après le déjeuner.

Les grands enfants font preuve d'une patience et d'une écoute épatantes, et je suis persuadée que ce programme va bien fonctionner. De plus, cela apporte également beaucoup aux parrains dont les capacités sont stimulées par l'enseignement à un plus petit qu'eux. Pour Ramesh, qui a des tendances suicidaires, c'est aussi un moyen de se sentir utile et de s'accrocher à la vie.


Afin de continuer le travail avec les enfants dyslexiques, j'ai également demandé la contribution de Saraswathi. Celle-ci fait fréquemment lire les enfants mais de manière peu organisée et avec une fréquence variée.

Je l'ai donc aidé à mettre officiellement en place deux programmes de lecture. Tous les samedis, elle fera lire aux enfants dyslexiques les livres Peter&Jane qui cherchent à rendre la lecture attrayante et facile pour les enfants rencontrant des problèmes dans ce domaine.

De plus, quatre élèves ont un vrai besoin d'apprentissage de la phonétique. J'ai donc préparé du matériel de travail pour Saraswathi qui prendra ces enfants en cours particulier tous les mercredis afin de développer leurs connaissances phonétiques.


J'ai passé des moments formidables et parfois très forts dans cette petite école de Kesaram et j'espère qu'elle continuera à se développer pour aider les enfants des villages alentours.


Le staff m'a accordé un accueil exemplaire et je me suis rapidement sentie chez moi ici. Je dois aussi ce sentiment à Nageshwari (la professeur avec qui j'ai lancé le projet de Chengomul) et à sa famille, qui m'ont accueillie comme leur fille et avec qui j'ai partagé des moments formidables.



















De beaux moments de partage dans ma 'famille indienne'


Toutes ces personnes m'ont également réservée un très bel au revoir. A l'école, mon dernier jour était le 26 janvier, qui se trouve également être le le republic day ainsi que l'anniversaire de Marie-Christine, la fondatrice de Marica. L'équipe éducative avait organisé une très jolie fête pour célébrer cette fête nationale, l'anniversaire de Big Madam, ainsi que mon départ.

Ils m'ont énormément remerciée de mon travail à leurs côtés, et j'en étais presque mal à l'aise car ils m'ont probablement apporté plus que je ne leur ai apporté. Saraswathi a eu des mots très gentils et touchants et j'ai été très émue lorsqu'elle m'a prise dans ses bras, geste particulièrement étonnant venant d'elle.

Ils m'avaient préparé un cadeau d'au revoir très gentil mais vraiment peu pratique pour ma valise: un sari (le morceau de tissu fait 6 mètres!).
















Mon dernier jour à Kesaram


Au-delà de ces cadeaux, il serait difficile de décrire tout ce que j'ai reçu. J'ai réalisé qu'en se faisant tout petit, en s'abandonnant à l'autre, en s'effaçant devant lui, on grandit énormément avec lui.


Du côté de Chengomul, j'avais déjà commencé à passer la main depuis un petit moment. En effet, j'avais profité de mon départ en vacances fin décembre pour me retirer du projet en tant que professeur et ne plus me concentrer que sur mon rôle de management.


À cette occasion, nous avons organisé une petite fête dans les deux écoles que nous aidons, afin de faire un point sur le projet et communiquer au maximum dessus.

Nous avons ainsi convié trois maîtresses de chacune des Marica schools, certaines personnes de Chevella qui sont impliquées dans la vie de nos écoles et les parents d'élèves de Chengomul. Le but était de communiquer autant en interne qu'en externe.

En interne, càd au sein des écoles Marica, car l'association est fondée sur des valeurs d'entraide et de transparence. Il est donc important pour nous que les maîtresses de nos différentes écoles soient conscientes de notre initiative à Chengomul et qu'elles la supportent. Et cela a été un vrai succès, elles étaient très heureuses de voir qu'après avoir été aidées, elles pouvaient 'participer' à aider de nouveaux enfants (car de l'argent de Marica est investi dans ce projet).

En externe, car nous voulons que les professeurs de Chengomul, les deux directeurs et surtout les parents d'élèves soutiennent au maximum le projet afin de jouir des conditions propices pour le développer.



Nous avons ainsi organisé un déjeuner de rencontre au sein des écoles. Le problème : nous avons demandé au staff et aux élèves de classe I et II d'une des écoles d'aller dans l'autre établissement afin de faciliter la distribution du déjeuner, mais ceux-ci ont refusé.

Les deux écoles sont séparées d'à peine 50 mètres et pourtant elles n'ont presque aucun contact et refusent même de se réunir le temps d'un déjeuner. Cela m'a attristée car c'est malheureusement très révélateur des clivages de l'Inde (une école est musulmane, l'autre hindoue).




Les enfants dégustent sagement leur déjeuner




Ce petit imprévu n'a néanmoins pas nui au succès de la réunion : tout le monde s'est montré très heureux et enthousiaste à propos du projet. En particulier les parents d'élèves, qui sont venus personnellement nous remercier, Nageshwari et moi, de notre travail auprès des enfants.

Cette journée nous a donc donné confiance dans la suite du développement du projet.


Au cours du mois de janvier, j'ai donc géré ce développement à distance.

J'ai été remplacée par une nouvelle professeur, Maheshwari, qui s'est montrée très enthousiaste, même si elle a besoin de progresser en anglais. Je consacrais le temps gagné sur les heures de classe à la préparation des cours et du matériel pour continuer l'enseignement de l'anglais. En effet, le matériel utilisé depuis octobre a été rapidement épuisé tant les enfants progressent vite!

Par ailleurs, nous préparons la prochaine phase du projet: le lancement des cours d'informatique. Nous sommes en train d'acheter les ordinateurs et un professeur devrait bientôt commencer.

De bien belles perspectives en somme!
















Mon dernier jour à Chengomul (dans l'école en Telugu à gauhe, Urdu à droite)


Tous ces préparatifs m'ont permis de partir sereine, bien que triste, pour les Philippines où j'ai rejoint mon ami Louis, entrepreneur social au sein de Gawad Kalinga.

Ma petite vie indienne va évidemment me manquer, mais je suis très heureuse de tout ce que j'ai pu faire au sein de Marica. Je suis en particulier admirative de la capacité de Marie-Christine à déléguer: elle m'a accordée sa confiance et m'a laissée complètement libre de gérer mes projets comme je l'entendais, ce qui a rendu mon expérience absolument formidable.


Je vous tiendrai au courant de la suite de mes aventures rapidement,


À bientôt,

Tiphaine


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