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#4 - Mes projets à Marica


“A quoi occupes-tu ton quotidien? Quels sont tes projets? Dans quelle école travailles-tu?” Vous avez été très nombreux à me poser toutes ces questions et j'ai été très touchée par l'intérêt que vous portez à mes activités ici.


Après 2 mois de travail en Inde, j'ai enfin l'impression d'avoir le recul nécessaire pour vous faire partager mon quotidien. Une petite précision: il est fortement conseillé d'avoir lu mon article sur l'histoire de Marica avant de lire celui-ci, sinon il vous sera difficile de me suivre!


A quoi mes journées sont-elles donc occupées?


Tous les matins, je travaille à l'école de Kesaram, alias Marica V.

Cette école se trouve en bordure de Chevella, un gros bourg de 9000 habitants situé à 40 km à l'ouest d'Hyderabad. Elle compte 250 élèves, de la crèche à la 6ème, 9 maîtresses, 7 assitantes, une directrice, trois chauffeurs de bus et trois dames pour les tâches ménagères. Elle accueille surtout des enfants des villages alentour, globalement pauvres, dont une quarantaine venant de familles vivant sous les tentes. L'enseignement s'y fait en anglais, et des cours de telugu et d'hindi sont donnés.

L'assemblée du matin à Kesaram

Mon rôle principal: m'occuper des enfants ayants des besoins spéciaux.

Il y en a deux 'catégories' :

- Les enfants ayant des problèmes de lecture, liés à une dyslexie linguistique.




En effet, le Telugu, la langue locale, a une structure très différente de l'anglais, ce qui crée de la dyslexie. Pour vous donner une idée de l'ampleur du problème: dans les deux classes que je prends en charge, presqu'un tiers des élèves présente de gros problèmes de lecture!

Pour ceux qui ne sont pas très familiers avec la dyslexie, il s'agit d'un trouble affectant la capacité à apprendre à lire correctement, et ceci malgré une intelligence normale. Ce dernier point est très important: il faut comprendre que les enfants dyslexiques ne présentent aucun retard mental et ils sont souvent très forts dans d'autres matières. Pourtant, lorsqu'il s'agit de lire, ils présentent une capacité de concentration et de mémorisation très faible et font sans cesse les mêmes erreurs. La dyslexie se manifeste donc par des difficultés à différents niveaux en fonction des enfants: une difficulté à épeler les mots, à associer des sons aux lettres, à écrire les mots (les enfants atteints de dyslexie sont presque tous atteints de dysorthographie), une lecture très lente, une capacité très réduite à comprendre ce que quelqu'un d'autre lit à l'oral... Il n'y a pas de 'méthode miracle' pour combattre la dyslexie mais, avec de la patience, de vrais progrès sont possibles.

Je donne ainsi des classes de lecture à 7 enfants de classe III (équivalent du CE2) et à 6 enfants de classe IV (équivalent du CM1). Nous travaillons principalement la lecture et je crée des jeux autour de certaines syllabes sur lesquelles ils butent de manière répétée.

L'un de mes élèves en classe de lecture

- Les enfants présentant un handicap mental et/ou moteur :

Je prends en charge 5 enfants.



Mallesh, Gopal et Isthak sont tous les trois en Classe I (l'équivalent du CP).

Mallesh a 13 ans, il a une déformation des jambes qui l'handicape lourdement (il a subi 6 operations et marche difficilement à l'aide d'une canne) et est légerement malvoyant. Gopal a 11 ans, il est malvoyant. Isthak a également 11 ans, il est aussi malvoyant et lourdement handicapé mental.

Au delà de leurs problèmes physiques, Gopal et Mallesh présentent tous les deux un léger retard mental, ce qui explique en partie leur retard scolaire. Ce sont des enfants adorables, avec une grande envie d'apprendre et une immense joie de vivre. Ils sont très amis et ont à peu près les mêmes capacités scolaires, ce qui me permet de les prendre ensemble afin de réaliser des activites éducatives.


Mallesh et Gopal


Isthak est plus difficile à prendre en charge, il a une capacité de compréhension et de communication très limitée et n'a pas toujours un comportement très droit, ce qui pose la question des possibilités pour son avenir.


Il y a ensuite Karthikeya, le frère d'Isthak, qui est en UKG (grande section de maternelle). Il a 9 ans, est malvoyant et présente un léger retard mental. C'est un enfant qui progresse bien et qui n'a pas l'air de se soucier de sa différence d'âge par rapport aux autres enfants de sa classe, ce qui nous fait penser qu'il pourra étudier jusqu'aux grandes classes.


Enfin, il y a Akshitha, une adorable petite fille qui est en LKG (petite section de maternelle) malgré ses 10 ans. Elle est retardée mentale et a été laissée de côté pendant toute son enfance, ce qui l'a empêchée de développer un grand nombre de capacités: en particulier, elle ne parle pas. A son arrivée à l'école il y a 1 an et demi, les enseignants pensaient qu'elle était muette, mais en réalité le problème n'est pas physique, elle n'a simplement jamais été poussée à développer la parole. Elle commence désormais a émettre certains sons et à répéter certains mots, je suis persuadée qu'elle pourrait parler à force de travail. Cette enfant porte sur le monde un regard plein de curiosité, exactement comme un bébé qui découvrirait le monde, ce qui est très touchant.

Isthak célèbre l'anniversaire de Nehru

Avec chacun de ces enfants, je fais des activités différentes, en fonction de leur handicap. J'essaie de tourner au maximum l'apprentissage autour du jeu car la plupart des enfants handicapés présentent des troubles de l'attention, et le jeu permet de les aider à se concentrer. Par exemple, avec Mallesh et Gopal, j'ai fait des jeux des stickers: ils devaient choisir les lettres correspondant à leur prénom et les chiffres correspondant à leur âge puis écrire "years", ce qui fait travailler à la fois leur reconnaissance des chiffres et des lettres et leur écriture, ainsi que leur capacité de manipulation manuelle et leur concentration, afin de réussir à coller tout cela droit. Ensuite, ils avaient le droit de choisir leurs deux stickers d'animaux préférés parmi un grand choix, ce qui faisait travailler leur reconnaissance visuelle tout en les motivant puisqu'ils avaient le droit de choisir un autocollant juste pour eux.



















Gopal est fier de montrer son travail

Akshitha reçoit un prix pour ses activités lors du children's day

La plupart des jeux sont très simples et ne demandent pas une imagination débordante mais cela les stimule sur de nombreuses dimensions et ils sont réellement heureux de les faire. Mallesh et Gopal m'ont dit tous les deux une dizaine de fois merci en partant avec leur feuille de papier, ils étaient si fiers d'avoir réussi, cela fait réellement plaisir à voir! Avec les enfants plus lourdement handicapés, qui ne sont presque pas en capacité d'écrire, j'utilise plutôt des jeux de forme, de couleur, de sons etc. Par exemple, avec Isthak et Akshita, nous faisons souvent différents jeux en bois qui sont destinés aux très petits enfants, où il faut mettre un triangle dans une forme en triangle, un carré dans une forme en carré etc.


Au-delà de ces classes, j'aide aux activités quotidiennes de l'école, et ce n'est pas la moindre de mes tâches! J'apprends à différentes personnes à utiliser les diverses fonctionnalités d'un ordinateur, je m'occupe de toutes les photos de l'école, j'accompagne les enfants lors des excursions, j'organise des activités etc.




Par exemple, le 11 novembre est un jour spécial en Inde: le children's day. A cette occasion, nous organisons dans les différentes écoles Marica des jeux et des activités sortant de l'ordinaire, pour faire plaisir aux enfants tout en leur apprenant à développer leurs capacités manuelles, artistiques, sportives etc. Cette année, j'étais responsable d'organiser les activités du children's day et j'avais donc carte blanche pour inventer des jeux pour les enfants.




Les 'bracelets de l''amitié' confectionnés par les élèves de CE2

Les filles de CM2 avec leurs boucles d'oreille 'faites-à-la main'

Les festivités, qui ne devaient durer que quelques jours, ont duré finalement 10 jours pendant lesquels je prenais les enfants, tous les matins, classe par classe, afin de réaliser les activités que j'avais mises en place. Entre autres, nous avons fait des scoubidous, des 'friendship bonds' (ces bracelets qu'il faut faire soi-même en assemblant des élastiques de toutes les couleurs), des boucles d'oreille 'home-made' etc. L'avantage de ce type d'activités est que cela stimule les capacités manuelles et de concentration des enfants et ils repartent avec une chose faite de leurs propres mains.

Et cela crée une bonne dynamique car les gens se montrent curieux: j'ai appris aux différents professeurs, aux assistantes et aux servantes et tout le monde s'est montré vraiment très content d'apprendre (parfois les maîtresses plus que les élèves!).






Avec les plus petits, nous avons fait plein de jeux sympas, tels que la classique pêche à la ligne (nous avions fait 100 paquets pour les petits enfants et nous avions confectionné des cannes à pêche avec des bouts de bois et du fil de fer, ils sont passés un par un et devaient pêcher un cadeau, c'était vraiment adorable), les courses à cloche pied, avec un livre sur la tête etc.




La pêche à la ligne pour les enfants de maternelle



Nous avons également fait des activités spécialement pour les enfants handicapés. Par exemple, j'avais acheté des puzzle en 3D: j'ai pris Gopal, Mallesh et Isthak avec deux filles de classe VI, et nous avons fait deux puzzles en 3D tous ensemble. C'était une super activité, les enfants handicapés ont vraiment pu participer et ils étaient très fiers de prendre une photo à la fin. Même Isthak, avec qui il est souvent plus difficile de travailler, s'est montré très curieux et très heureux: il regardait, souriait beaucoup et a même franchement rigolé à la fin.


Les enfants se concentrent pour gagner la course tout en gardant leur livre en équilibre sur la tête






Me voila en train de maquiller les enfants

Et d'aider Mallesh a realiser son puzzle en 3D








Gopal, Isthak et Mallesh montrent leurs puzzles

Et les enfants de classe 5 et 6 sont prets pour le theatre


L'après-midi, mon travail est très différent. Selon les mots de Marie-Christine, nous 'lancons une école', ou plutôt un complément d'école. L'idée : se rendre dans les villages isolés et apporter des enseignements qui n'existent pas dans les écoles du gouvernement, dans le but de permettre aux enfants de ces villages de trouver un travail dans l'avenir.


Nageshwari et moi avec nos élèves de l'école Urdu de Chengomul

La première étape: donner des cours d'anglais aux enfants les plus jeunes (CP et CE1). L'idée est de lancer une dynamique: si nos cours sont bien acceptés, si les enfants, leurs parents et le personnel éducatif de ces écoles sont contents des cours que nous leur apportons, alors cela nous permettra d'élargir le projet. La deuxième étape sera d'élargir l'enseignement de l'anglais à d'autres classes, et ajouter l'enseignement de l'informatique. La dernière étape et probablement la plus importante: aller voir les grandes entreprises ayant des besoins en petites mains maîtrisant l'informatique et l'anglais. Il faut savoir que ces besoins sont tres importants, en particulier à Hyderabad qui est l'un des plus grands pôles technologiques du pays. Marie-Christine a déjà des contacts dans ce genre d'entreprises et l'idée serait de les convaincre d'ouvrir des petites antennes à proximité de ces villages. Il suffit de pas grand chose: un hall avec 50 tables, chaises et ordinateurs représente déjà un grand nombre d'emplois! Et cela est attrayant pour les entreprises: une main d'oeuvre débrouillarde, maîtrisant l'anglais et les bases de l'informatique, à proximité d'Hyderabad et à moindres frais (la différence de loyer et de salaire est non négligeable entre Hyderabad et les villages des campagnes alentour).




Mon rôle est donc de 'lancer la dynamique'. Concrètement, je suis professeur d'anglais, en binôme avec une maîtresse indienne, Nageshwari, dans deux écoles de Chengomul, un petit village isolé à 20 km de Chevella. Ce village a été repéré par Marie-Christine car il semble avoir été “oublié”, il ne compte que deux petites écoles alors qu'il y aurait beaucoup d'enfants sans éducation dans la zone alentour.



Ce projet me tient vraiment à coeur, car j'en suis entièrement responsable, et je suis complètement libre de le gérer comme je le souhaite, ce qui est très stimulant.



L'un de mes élèves de l'école Telugu récite ses connaissances


Les enfants viennent me montrer leur travail

Et c'est un plaisir d'observer à quel point les enfants progressent vite: ce sont de véritables éponges!

Lorsque nous avons lancé le projet, les enfants ne connaissaient presque aucun mot d'anglais, si ce n'est l'alphabet et les chiffres.


Depuis, nous avons donné seulement 32 heures de cours dans chaque école et les progrès sont impressionnants: ils connaissent en moyenne 5 mots par lettre de l'alphabet, ainsi que beaucoup de vocabulaire par thème (les couleurs, les formes, les animaux, les fruits, les légumes, les fleurs, les insectes, les transports, les pièces de la maison, les parties du corps, les membres de la famille, les principales émotions, les pricipaux verbes d'action, les jours de la semaine, les mois de l'année...), les nombres jusqu'a 40 et une dizaine de chansons en anglais dont ils miment les actions lorsqu'ils chantent.

En plus de cela, ils comprennent un grand nombre de phrases simples et savent répondre à toutes les questions basiques. C'est énorme!!

D'ailleurs, cela me fait réellement m'interroger sur la question de l'apprentissage des langues à l'école: pourquoi n'enseigne-t-on pas dès les petites classes, au moment ou la mémoire est la plus flexible?



De plus, le projet est bien accepté, même si cela n'a pas été toujours facile depuis le début. Désormais les professeurs nous accueillent très bien et certains nous remercient chaleureusement de notre aide, ce qui nous fait très plaisir. Cela nous fait croire que le projet a de beaux jours devant lui et nous sommes ravis! Nous sommes d'ailleurs déjà en train de préparer la mise en place des cours d'informatique. A suivre!


En plus de ces activités quotidiennes, vient s'ajouter en ce moment la préparation des rapports de Noël. A Kesaram, une quarantaine d'enfants sont sponsorisés par des parrains francais, suisses et anglais. A Noël, nous envoyons à chaque parrain un petit rapport sur l'enfant. Cette année, je suis responsable de la préparation de tous les rapports de l'école et c'est beaucoup de travail! Je profite d'ailleurs de cet article pour remercier ceux d'entre vous qui m'ont contactée pour parrainer un enfant ou pour aider l'association d'une quelconque manière. Parmi nos nombreux enfants en attente d'un parrain, trois ont reçu comme cadeau de Noël un nouveau parrain/une nouvelle marraine. De plus, de petites mains ont proposé de coudre les uniformes de nos écoles, qui voyageront ensuite dans les valises des prochains visiteurs.


Merci à vous!


A bientôt,


Tiphaine


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